La prohibition de la torture constitue l’une des normes les plus fondamentales du droit international des droits de l’homme. Son caractère universel et absolu en fait une règle impérative qui s’impose à tous les États, sans exception possible. Cet impératif catégorique transcende les frontières et les systèmes juridiques pour protéger la dignité inhérente à chaque être humain. Pourtant, malgré ce consensus apparent, la mise en œuvre effective de cette interdiction se heurte encore à de nombreux obstacles. Examinons les fondements, la portée et les défis liés au caractère universel des infractions relatives à la torture.
Les fondements juridiques de l’interdiction universelle de la torture
L’interdiction de la torture trouve ses racines dans de nombreux instruments juridiques internationaux qui en consacrent le caractère absolu et universel. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 proclame dans son article 5 que « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Cette prohibition a ensuite été reprise et développée dans plusieurs conventions internationales contraignantes.
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée par l’ONU en 1984 constitue l’instrument juridique le plus complet en la matière. Son article 2 stipule qu' »aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture ». Cette formulation sans équivoque consacre le caractère absolu de l’interdiction.
Au niveau régional, d’autres textes viennent renforcer ce dispositif comme la Convention européenne des droits de l’homme (article 3) ou la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture. La multiplication de ces instruments témoigne de la volonté de la communauté internationale d’ériger la prohibition de la torture en norme universelle.
La jurisprudence des juridictions internationales a par ailleurs confirmé le statut particulier de cette interdiction. Dans l’affaire Furundžija, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a ainsi qualifié l’interdiction de la torture de « norme impérative du droit international général » (jus cogens). Ce statut implique qu’aucune dérogation n’est permise et que la norme s’impose à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié les conventions pertinentes.
La définition universelle des actes constitutifs de torture
Si le principe d’interdiction fait l’objet d’un large consensus, la définition précise des actes constitutifs de torture a donné lieu à de nombreux débats. L’article 1er de la Convention contre la torture fournit une définition qui fait aujourd’hui référence :
- Une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales
- Infligées intentionnellement
- Dans un but précis (obtenir des renseignements, punir, intimider, etc.)
- Par un agent public ou toute personne agissant à titre officiel
Cette définition a été progressivement précisée et élargie par la jurisprudence internationale. Le Comité contre la torture de l’ONU a ainsi considéré que certaines formes de violences sexuelles ou de détention dans des conditions inhumaines pouvaient être assimilées à des actes de torture.
La Cour européenne des droits de l’homme a pour sa part développé une approche dynamique, estimant que certains actes autrefois qualifiés de « traitements inhumains ou dégradants » devaient désormais être considérés comme de la torture au regard de l’évolution des standards en matière de protection des droits humains.
Cette interprétation évolutive vise à garantir une protection la plus large possible contre toutes les formes de mauvais traitements. Elle témoigne de la volonté d’appréhender la torture dans toutes ses dimensions, y compris psychologiques.
Néanmoins, des divergences d’interprétation persistent entre les États sur certains points. Les techniques d’interrogatoire dites « renforcées » utilisées dans le cadre de la lutte antiterroriste ont par exemple fait l’objet de vives controverses quant à leur qualification juridique.
La compétence universelle en matière de répression de la torture
Le caractère universel de l’interdiction de la torture se traduit également par l’affirmation d’une compétence universelle pour juger les auteurs présumés de tels actes. Ce principe permet à tout État de poursuivre les tortionnaires présents sur son territoire, quel que soit le lieu où les faits ont été commis et indépendamment de la nationalité de l’auteur ou de la victime.
L’article 5 de la Convention contre la torture impose ainsi aux États parties d’établir leur compétence pour connaître des actes de torture dans plusieurs cas :
- Lorsque l’infraction a été commise sur leur territoire
- Lorsque l’auteur présumé est un de leurs ressortissants
- Lorsque la victime est un de leurs ressortissants
- Lorsque l’auteur présumé se trouve sur leur territoire
Cette dernière hypothèse consacre le principe de compétence universelle stricto sensu. Elle vise à éviter que les tortionnaires puissent trouver refuge dans un pays tiers et échapper ainsi à toute poursuite.
Plusieurs États ont intégré ce principe dans leur législation nationale. La Belgique s’est par exemple dotée en 1993 d’une loi dite « de compétence universelle » qui a permis l’ouverture de procédures contre d’anciens dirigeants étrangers soupçonnés d’actes de torture. D’autres pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni ont également eu recours à ce mécanisme.
La mise en œuvre de la compétence universelle se heurte toutefois à des obstacles pratiques et diplomatiques. Certains États craignent que cet outil ne soit instrumentalisé à des fins politiques. Des immunités peuvent également être invoquées pour protéger certains responsables en exercice.
Malgré ces difficultés, le principe de compétence universelle reste un pilier essentiel dans la lutte contre l’impunité des auteurs d’actes de torture. Il traduit l’idée que ces crimes touchent l’humanité dans son ensemble et doivent pouvoir être jugés partout.
L’obligation universelle de prévenir et de réprimer la torture
Au-delà de l’interdiction formelle, les conventions internationales imposent aux États une série d’obligations positives visant à prévenir et réprimer effectivement les actes de torture. Ces obligations s’appliquent de manière universelle, indépendamment du contexte national.
En matière de prévention, les États doivent notamment :
- Former les agents chargés de l’application des lois aux standards internationaux
- Mettre en place des mécanismes de contrôle des lieux de détention
- Garantir des conditions de détention conformes aux normes internationales
- Protéger les personnes vulnérables contre les risques de torture
Le Protocole facultatif à la Convention contre la torture adopté en 2002 a renforcé ce dispositif en instaurant un système de visites régulières des lieux de privation de liberté par des experts indépendants.
S’agissant de la répression, les États ont l’obligation de :
- Incriminer spécifiquement les actes de torture dans leur droit pénal
- Enquêter de manière impartiale sur toute allégation de torture
- Poursuivre ou extrader les auteurs présumés
- Garantir aux victimes un droit à réparation et à réadaptation
Ces obligations s’imposent à tous les États parties aux conventions pertinentes. Leur mise en œuvre effective fait l’objet d’un suivi par différents organes internationaux comme le Comité contre la torture de l’ONU ou le Comité européen pour la prévention de la torture.
Malgré ce cadre juridique contraignant, de nombreux États peinent encore à s’acquitter pleinement de leurs obligations en la matière. Les rapports des organes de contrôle pointent régulièrement des lacunes dans la prévention ou l’absence d’enquêtes effectives sur les allégations de torture.
Les défis persistants à l’universalité de l’interdiction de la torture
Si le caractère universel de l’interdiction de la torture est aujourd’hui largement reconnu en droit, sa mise en œuvre effective se heurte encore à de nombreux obstacles. Plusieurs défis majeurs peuvent être identifiés :
La persistance de pratiques contraires dans de nombreux pays :
- Utilisation de la torture comme méthode d’interrogatoire
- Recours à des châtiments corporels
- Conditions de détention assimilables à des traitements inhumains
Ces pratiques persistent malgré les engagements internationaux pris par les États concernés. Elles témoignent d’un décalage entre les normes proclamées et leur application concrète.
Les tentatives de justification de la torture dans certains contextes :
- Lutte contre le terrorisme
- États d’urgence ou situations de conflit
- Protection de la « sécurité nationale »
Ces arguments, bien que juridiquement infondés, continuent d’être avancés pour légitimer le recours à des méthodes coercitives. Ils remettent en cause le caractère absolu de l’interdiction.
Les obstacles à la poursuite effective des tortionnaires :
- Immunités invoquées par certains responsables
- Manque de coopération judiciaire entre États
- Insuffisance des enquêtes au niveau national
L’impunité dont bénéficient encore de nombreux auteurs d’actes de torture affaiblit la portée dissuasive de l’interdiction.
Les divergences d’interprétation sur certains points :
- Qualification juridique de certaines techniques d’interrogatoire
- Appréciation du seuil de gravité des actes
- Étendue des obligations positives des États
Ces débats montrent que l’universalité de l’interdiction n’exclut pas totalement les particularismes dans son interprétation.
Face à ces défis, le renforcement des mécanismes de contrôle internationaux apparaît comme une priorité. Le rôle des juridictions nationales et internationales reste également crucial pour consolider une interprétation uniforme des standards en la matière.
La lutte contre la torture passe aussi par un travail de sensibilisation et d’éducation pour ancrer durablement le rejet absolu de ces pratiques dans les mentalités. C’est à cette condition que l’interdiction universelle de la torture pourra pleinement se concrétiser dans les faits.