La Frontière Mince: Publicité Comparative et Pratiques Commerciales Déloyales en Droit Français

La publicité comparative représente une stratégie marketing permettant aux entreprises de se démarquer en comparant directement leurs produits ou services avec ceux de leurs concurrents. Cette technique soulève des questions juridiques complexes à l’intersection du droit de la concurrence, du droit des marques et du droit de la consommation. En France, le cadre normatif distingue la publicité comparative licite des pratiques commerciales déloyales sanctionnées. L’évolution jurisprudentielle et législative témoigne d’un équilibre délicat entre liberté commerciale et protection contre les comportements anticoncurrentiels. Face aux transformations numériques et à l’internationalisation des marchés, l’encadrement juridique de ces pratiques continue de s’adapter, créant un domaine dynamique où les frontières entre stratégie marketing légitime et déloyauté commerciale se redessinent constamment.

Fondements Juridiques de la Publicité Comparative en France

La publicité comparative trouve son cadre légal principal dans le Code de la consommation, notamment aux articles L.122-1 à L.122-7. Cette réglementation est issue de la transposition de la Directive européenne 2006/114/CE relative à la publicité trompeuse et comparative. Le législateur français a choisi d’adopter une approche équilibrée, reconnaissant l’utilité de ce type de publicité pour l’information des consommateurs tout en instaurant des garde-fous stricts.

Le principe fondamental posé par le droit français est celui de la licéité sous conditions de la publicité comparative. L’article L.122-1 du Code de la consommation dispose que « toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n’est licite que si » elle respecte certaines conditions cumulatives.

Ces conditions peuvent être synthétisées comme suit :

  • La comparaison doit porter sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif
  • Elle doit comparer objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives
  • Elle ne doit pas engendrer de confusion entre l’annonceur et un concurrent
  • Elle ne doit pas discréditer ou dénigrer les marques, noms commerciaux ou autres signes distinctifs d’un concurrent
  • Elle ne doit pas tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque

La jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement affiné ces critères. Dans un arrêt notable du 24 novembre 2009, la Chambre commerciale a précisé que « la publicité comparative ne peut être considérée comme licite que si elle compare des produits répondant aux mêmes besoins ou ayant les mêmes finalités, ce qui implique qu’ils présentent un degré suffisant d’interchangeabilité ».

Le Conseil d’État a pour sa part contribué à l’interprétation de ces dispositions en validant notamment les pouvoirs de contrôle de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) sur ces pratiques publicitaires.

Au-delà du droit national, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu plusieurs décisions structurantes, comme l’arrêt Lidl SNC contre Vierzon Distribution SA du 18 novembre 2010, qui a précisé les modalités d’application de la directive sur la publicité comparative dans le secteur de la grande distribution.

L’articulation entre ces différentes sources normatives crée un système juridique cohérent mais exigeant, où la publicité comparative est reconnue comme un outil marketing légitime sous réserve du respect scrupuleux des conditions légales qui visent à garantir la loyauté des pratiques commerciales et la protection tant des concurrents que des consommateurs.

Critères de Distinction Entre Publicité Comparative Licite et Pratiques Déloyales

La frontière entre publicité comparative licite et pratique commerciale déloyale repose sur des critères précis établis par la législation et affinés par la jurisprudence. Cette distinction s’avère fondamentale pour les acteurs économiques qui doivent naviguer entre innovation marketing et respect du cadre légal.

L’objectivité comme pilier de la licéité

Le premier critère discriminant est celui de l’objectivité de la comparaison. La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 octobre 2015, a rappelé que « la comparaison doit porter sur des caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives des biens ou services ». Toute comparaison fondée sur des éléments subjectifs ou non vérifiables bascule dans la catégorie des pratiques déloyales.

La jurisprudence a notamment sanctionné des publicités comparatives portant sur des notions subjectives comme le « goût » ou le « confort » sans protocole de test rigoureux. À l’inverse, les comparaisons de prix, de composition ou de performances techniques mesurables sont généralement admises sous réserve qu’elles soient exactes et vérifiables.

La non-confusion et l’absence de dénigrement

Le deuxième axe de distinction concerne la manière dont le concurrent est présenté. Une publicité comparative licite identifie clairement le concurrent sans créer de confusion et sans le dénigrer. Le Tribunal de commerce de Paris, dans un jugement du 7 mars 2017, a considéré qu’une campagne publicitaire suggérant l’obsolescence des produits d’un concurrent nommément désigné constituait un dénigrement illicite dépassant le cadre de la simple comparaison.

La notion de dénigrement a été précisée par la Cour d’appel de Paris qui considère qu’il y a dénigrement lorsque la comparaison « jette le discrédit sur les produits ou services du concurrent au-delà de ce qui est nécessaire pour la comparaison objective des caractéristiques ».

L’équivalence des produits ou services comparés

Un troisième critère déterminant réside dans l’équivalence des produits ou services mis en comparaison. L’article L.122-1 du Code de la consommation exige que les biens comparés répondent « aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ». La CJUE a précisé cette notion dans l’arrêt Lidl en indiquant qu’il doit exister « un degré suffisant d’interchangeabilité entre les produits ».

  • Une comparaison entre produits de gammes différentes peut être licite si le consommateur en est clairement informé
  • La comparaison entre produits non équivalents sans mention explicite de leurs différences constitue une pratique déloyale
  • La mise en avant d’une caractéristique marginale tout en occultant des différences essentielles bascule dans l’illicéité

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a ainsi condamné une entreprise qui comparait son produit d’entrée de gamme avec un produit haut de gamme d’un concurrent sans mentionner clairement cette différence de positionnement.

L’exploitation indue de la notoriété d’un concurrent

Enfin, une publicité comparative devient déloyale lorsqu’elle vise principalement à tirer profit de la notoriété d’une marque concurrente. La Cour de cassation a développé ce concept en sanctionnant les publicités qui, sous couvert de comparaison, cherchent à s’approprier l’image ou la réputation d’un concurrent. Ce parasitisme économique transforme la publicité comparative en pratique déloyale.

Ces critères, appliqués de manière cumulative, permettent aux juridictions de tracer une ligne de démarcation entre la publicité comparative licite, qui contribue à l’information du consommateur et stimule une concurrence saine, et les pratiques commerciales déloyales qui faussent le jeu concurrentiel et trompent le consommateur.

Régime des Sanctions Applicables aux Pratiques Déloyales

Les pratiques commerciales déloyales en matière de publicité comparative font l’objet d’un arsenal répressif diversifié, combinant sanctions civiles, pénales et administratives. Ce système vise à assurer l’effectivité de la protection tant des consommateurs que des concurrents face aux dérives publicitaires.

Sanctions civiles: réparation et cessation

Sur le plan civil, les victimes de publicités comparatives déloyales disposent principalement de l’action en concurrence déloyale, fondée sur les articles 1240 et 1241 du Code civil. Cette action permet d’obtenir la réparation du préjudice subi, dont l’évaluation s’avère souvent complexe.

La jurisprudence a progressivement élaboré une méthodologie d’évaluation du préjudice qui peut inclure:

  • Le manque à gagner résultant du détournement de clientèle
  • L’atteinte à l’image de marque
  • Les frais engagés pour contrer les effets de la publicité déloyale

Dans un arrêt marquant du 9 février 2016, la Cour de cassation a confirmé qu’une indemnisation substantielle pouvait être accordée même en l’absence de preuve d’une perte effective de chiffre d’affaires, reconnaissant ainsi la réalité du préjudice d’image.

Outre l’indemnisation, les juridictions civiles peuvent ordonner la cessation de la publicité litigieuse sous astreinte, la publication du jugement dans la presse ou sur le site internet de l’entreprise condamnée, voire la diffusion d’une publicité rectificative. Ces mesures visent à neutraliser les effets de la pratique déloyale sur le marché.

Sanctions pénales: la répression des infractions caractérisées

Le législateur a choisi de pénaliser certaines formes particulièrement graves de publicités comparatives déloyales. L’article L.132-25 du Code de la consommation punit d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros le fait de diffuser une publicité comparative qui « met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou les biens ou services offerts par un concurrent » en violation des conditions posées par l’article L.122-1 du même code.

Le montant de l’amende peut être porté à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel pour les personnes morales, proportion calculée sur les trois derniers chiffres d’affaires connus à la date des faits. Cette possibilité d’aggravation, introduite par la loi Hamon du 17 mars 2014, renforce considérablement le caractère dissuasif de la sanction.

Les tribunaux correctionnels peuvent prononcer des peines complémentaires comme l’interdiction d’exercer une activité commerciale ou la confiscation des supports publicitaires. Ils peuvent ordonner la publication de la décision de condamnation, mesure particulièrement redoutée des entreprises soucieuses de leur réputation.

Sanctions administratives: le rôle croissant de la DGCCRF

La DGCCRF s’est vue attribuer par la loi des pouvoirs administratifs étendus pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales. Depuis la loi du 3 janvier 2008, modifiée par l’ordonnance du 14 mars 2016, les agents de cette administration peuvent:

  • Prononcer des injonctions administratives exigeant la mise en conformité des publicités
  • Imposer des amendes administratives pouvant atteindre 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale
  • Ordonner la cessation de pratiques illicites via des mesures conservatoires

Ces sanctions administratives présentent l’avantage de la rapidité et de l’efficacité, permettant une intervention rapide face à des campagnes publicitaires déloyales en cours. La décision de l’administration reste toutefois susceptible de recours devant le juge administratif.

La loi DDADUE du 3 juillet 2020 a renforcé ce dispositif en permettant à l’administration de prononcer des astreintes journalières en cas de non-respect des injonctions, pouvant atteindre 1 000 euros par jour de retard et par manquement constaté.

Ce triple niveau de sanctions – civiles, pénales et administratives – crée un système cohérent mais complexe, où les différentes procédures peuvent se cumuler. Cette architecture répressive témoigne de l’attention particulière portée par le législateur à la loyauté des pratiques commerciales, considérée comme une condition essentielle du bon fonctionnement du marché et de la protection des consommateurs.

Évolution Jurisprudentielle sur la Publicité Comparative

La jurisprudence relative à la publicité comparative a connu des évolutions significatives au cours des dernières décennies, reflétant les transformations économiques et technologiques ainsi que l’influence croissante du droit européen. Cette dynamique jurisprudentielle a progressivement précisé les contours de la licéité et affiné l’interprétation des textes législatifs.

D’une approche restrictive à une libéralisation encadrée

Les premières décisions judiciaires concernant la publicité comparative en France adoptaient une approche particulièrement restrictive. La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 juillet 1986, considérait que toute comparaison nominative constituait un acte de concurrence déloyale. Cette position s’expliquait par la prévalence accordée à la protection des droits des concurrents sur l’information des consommateurs.

Un tournant majeur s’est opéré avec la loi du 18 janvier 1992 qui a expressément autorisé la publicité comparative sous conditions. La jurisprudence a dû alors s’adapter à ce nouveau cadre légal, comme en témoigne l’arrêt de la Chambre commerciale du 22 juillet 1997 qui a reconnu la licéité d’une publicité comparative sur les prix entre deux enseignes de la grande distribution.

L’influence du droit européen a accentué cette tendance à la libéralisation encadrée. La CJUE, dans l’arrêt Pippig Augenoptik du 8 avril 2003, a posé le principe selon lequel les restrictions à la publicité comparative doivent être interprétées strictement, dans la mesure où cette forme de publicité peut stimuler la concurrence au bénéfice des consommateurs.

Précisions sur les critères d’objectivité et de comparabilité

La jurisprudence a progressivement affiné les critères d’appréciation de la licéité, notamment concernant l’objectivité et la comparabilité des produits ou services. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 14 mars 2018, a considéré qu’une comparaison de prix entre des offres téléphoniques présentant des caractéristiques différentes non explicitées constituait une pratique déloyale, malgré l’exactitude formelle des prix indiqués.

La notion de « caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives » a fait l’objet d’interprétations jurisprudentielles précises. La Chambre commerciale, dans un arrêt du 11 janvier 2017, a jugé que la comparaison devait porter sur des caractéristiques objectives qui « déterminent substantiellement le choix du consommateur », excluant ainsi les comparaisons fondées sur des éléments secondaires ou marginaux.

Cette exigence d’objectivité s’est traduite par un contrôle rigoureux des protocoles de test utilisés pour établir des comparaisons. Le Tribunal de commerce de Paris, dans une décision du 5 septembre 2019, a invalidé une publicité comparative fondée sur des tests dont la méthodologie n’était pas explicitée et dont les conditions de réalisation n’étaient pas représentatives de l’usage normal des produits.

Adaptation aux nouvelles formes de publicité comparative

L’émergence du commerce électronique et des plateformes numériques a engendré de nouvelles formes de publicité comparative que la jurisprudence a dû appréhender. La question des comparateurs de prix en ligne a notamment fait l’objet de décisions novatrices.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 décembre 2012, a jugé que les sites comparateurs de prix constituaient bien une forme de publicité comparative soumise aux exigences légales, notamment en termes d’objectivité et d’exactitude des informations présentées.

La CJUE a pour sa part précisé, dans l’arrêt Mediaprint du 9 novembre 2010, que les dispositions relatives à la publicité comparative s’appliquaient pleinement dans l’environnement numérique et que les États membres ne pouvaient adopter des dispositions plus restrictives que celles prévues par la directive européenne.

Plus récemment, la question de l’utilisation des mots-clés correspondant aux marques de concurrents dans les systèmes de référencement payant a été abordée par la CJUE dans l’arrêt Interflora du 22 septembre 2011. La Cour a considéré que cette pratique pouvait constituer une forme de publicité comparative licite sous réserve du respect des conditions générales posées par la directive.

L’évolution jurisprudentielle témoigne ainsi d’un équilibre dynamique entre la protection des droits des concurrents, l’information des consommateurs et la promotion d’une concurrence saine. Les tribunaux ont su adapter les principes généraux aux spécificités des nouvelles formes de communication commerciale, tout en maintenant un cadre exigeant garantissant la loyauté des pratiques publicitaires.

Défis Contemporains et Perspectives d’Évolution du Cadre Juridique

Le cadre juridique encadrant la publicité comparative et les pratiques commerciales déloyales fait face à des transformations profondes liées aux évolutions technologiques, économiques et sociétales. Ces mutations soulèvent des questions inédites et appellent potentiellement des adaptations normatives.

L’impact du numérique sur les pratiques comparatives

La révolution numérique a bouleversé les modalités de la publicité comparative, créant des formes hybrides difficiles à qualifier juridiquement. L’émergence des réseaux sociaux comme vecteur publicitaire pose la question de l’application du cadre existant à des contenus parfois ambigus, entre communication commerciale et expression d’opinion.

Le phénomène des influenceurs qui comparent des produits sans toujours expliciter leurs liens contractuels avec les marques soulève des interrogations quant à l’identification du caractère publicitaire du message et à l’application des règles de la publicité comparative. La DGCCRF a publié en 2019 des lignes directrices sur ce sujet, mais la qualification juridique de ces pratiques reste parfois incertaine.

Les algorithmes de recommandation utilisés par les plateformes en ligne constituent une autre forme émergente de comparaison implicite entre produits ou services. La Commission européenne a engagé une réflexion sur ce sujet dans le cadre du Digital Services Act, suggérant que ces systèmes automatisés pourraient dans certains cas relever de la réglementation sur les pratiques commerciales.

  • La publicité contextuelle et comportementale pose des questions spécifiques de loyauté
  • Les comparateurs automatisés soulèvent des enjeux d’objectivité et de transparence
  • La viralité des contenus numériques amplifie l’impact potentiel des comparaisons déloyales

Tensions entre droit national, européen et international

L’internationalisation des marchés numériques crée des tensions entre les différents systèmes juridiques applicables à la publicité comparative. Alors que le cadre européen est relativement harmonisé grâce à la Directive 2006/114/CE, des divergences significatives persistent avec d’autres systèmes juridiques.

Les États-Unis adoptent une approche plus libérale de la publicité comparative, protégée au titre du Premier Amendement, tandis que certains pays asiatiques maintiennent des restrictions plus strictes. Ces différences créent des difficultés pour les entreprises opérant à l’échelle mondiale et peuvent engendrer des distorsions concurrentielles.

La question de la juridiction compétente et du droit applicable aux publicités diffusées sur internet reste particulièrement complexe. La Cour de cassation a développé la théorie de l’accessibilité, considérant dans un arrêt du 12 juillet 2012 que les tribunaux français sont compétents dès lors qu’une publicité en ligne est accessible depuis le territoire français, même si elle n’est pas spécifiquement destinée au public français.

Cette approche extensive de la compétence juridictionnelle crée un risque de cumul des législations applicables qui peut freiner le développement de stratégies publicitaires comparatives transfrontalières.

Vers un renforcement des pouvoirs de régulation

Face à ces défis, on observe une tendance au renforcement des pouvoirs des autorités de régulation. La loi du 7 décembre 2020 a considérablement accru les prérogatives de la DGCCRF en matière de lutte contre les pratiques commerciales déloyales, notamment dans l’environnement numérique.

L’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) a pour sa part développé une doctrine spécifique sur la publicité comparative dans son référentiel de déontologie, complétant ainsi le cadre légal par des recommandations professionnelles adaptées aux évolutions du secteur.

Au niveau européen, le règlement P2B (Platform to Business) adopté en 2019 impose de nouvelles obligations de transparence aux plateformes en ligne concernant leurs pratiques de classement et de référencement, qui peuvent s’apparenter à des formes de comparaison implicite entre professionnels.

Cette montée en puissance des mécanismes de régulation témoigne d’une prise de conscience des limites du contentieux judiciaire classique face à la rapidité et à la complexité des pratiques publicitaires contemporaines.

Perspectives d’évolution législative

Plusieurs évolutions législatives sont envisageables pour adapter le cadre juridique aux réalités contemporaines de la publicité comparative et des pratiques commerciales déloyales.

La Commission européenne a engagé une réflexion sur la révision de la directive concernant les pratiques commerciales déloyales, qui pourrait aboutir à un encadrement plus précis des nouvelles formes de publicité comparative numérique.

En France, des propositions législatives visent à renforcer les obligations de transparence concernant les modifications apportées aux produits comparés après la diffusion d’une publicité comparative (phénomène du « downgrading »), ainsi que sur l’origine des données utilisées pour établir les comparaisons.

L’enjeu majeur pour le législateur sera de trouver un équilibre entre la préservation des avantages pro-concurrentiels de la publicité comparative, la protection effective des concurrents contre les pratiques déloyales, et l’adaptation aux nouvelles réalités technologiques et commerciales.

Ces défis contemporains illustrent la nature dynamique du droit de la publicité comparative, en constante évolution pour répondre aux transformations des pratiques commerciales tout en préservant les principes fondamentaux de loyauté et de transparence qui constituent le socle de la confiance dans l’économie de marché.

Vers une Harmonisation des Pratiques dans l’Espace Numérique

L’avènement de l’espace numérique comme terrain privilégié des stratégies publicitaires comparatives impose une réflexion approfondie sur l’harmonisation des pratiques et des règles applicables. Cette harmonisation représente un enjeu majeur pour garantir tant la sécurité juridique des acteurs économiques que la protection effective des consommateurs.

La convergence des régimes juridiques européens

Malgré l’existence d’un cadre commun défini par la Directive 2006/114/CE, des disparités persistent dans la transposition et l’application des règles relatives à la publicité comparative au sein de l’Union européenne. Ces divergences créent des obstacles au développement de campagnes publicitaires paneuropéennes et peuvent induire des distorsions concurrentielles.

Le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), adoptés en 2022, constituent une avancée significative vers l’harmonisation des règles applicables aux plateformes numériques. Ces textes imposent notamment des obligations de transparence concernant les paramètres utilisés pour le classement des offres, élément qui s’apparente à une forme de comparaison implicite entre professionnels.

La CJUE joue un rôle fondamental dans ce processus d’harmonisation à travers son interprétation uniforme des dispositions européennes. Dans l’arrêt Carrefour Hypermarchés du 8 février 2017, la Cour a précisé les conditions de licéité des comparaisons de prix entre enseignes disposant de formats de magasins différents, contribuant ainsi à l’élaboration d’un standard commun applicable dans tous les États membres.

Cette convergence progressive des régimes juridiques européens s’accompagne d’initiatives de coopération entre autorités nationales de régulation. Le réseau CPC (Consumer Protection Cooperation) facilite la coordination des actions contre les pratiques commerciales déloyales transfrontalières, y compris celles impliquant des publicités comparatives trompeuses.

L’autorégulation comme complément à la réglementation

Face à la complexité et à l’évolutivité rapide des pratiques publicitaires numériques, les mécanismes d’autorégulation jouent un rôle croissant en complément du cadre légal. Ces dispositifs, plus souples et réactifs que la législation formelle, permettent d’adapter les principes généraux aux spécificités des nouveaux formats publicitaires.

L’Alliance Européenne pour l’Éthique en Publicité (AEEP) a élaboré des lignes directrices concernant la publicité comparative numérique, recommandant notamment:

  • L’identification claire du caractère publicitaire des contenus comparatifs
  • La transparence sur la méthodologie utilisée pour les comparaisons
  • L’actualisation régulière des données comparatives présentées

En France, l’ARPP a développé une recommandation spécifique « Communication publicitaire numérique » qui complète ses dispositions générales sur la publicité comparative. Ce texte aborde notamment la question des comparaisons effectuées via les réseaux sociaux et les plateformes d’avis en ligne.

Ces initiatives d’autorégulation présentent l’avantage de pouvoir s’adapter rapidement aux innovations technologiques et aux nouvelles pratiques marketing. Elles contribuent à l’émergence de standards professionnels partagés qui facilitent la conformité des acteurs économiques aux principes fondamentaux de loyauté commerciale.

L’encadrement spécifique des nouvelles formes de comparaison

L’essor des plateformes numériques a engendré des formes inédites de comparaison entre produits ou services qui appellent un encadrement spécifique. Les comparateurs en ligne, les places de marché et les agrégateurs de contenus proposent des classements et des évaluations qui s’apparentent à des comparaisons sans toujours respecter le formalisme de la publicité comparative traditionnelle.

Le règlement P2B constitue une première réponse à ces enjeux en imposant aux plateformes d’informer les professionnels sur les principaux paramètres déterminant le classement des offres et sur l’existence éventuelle d’un traitement différencié. Cette transparence vise à garantir une forme d’équité dans la comparaison implicite opérée par ces intermédiaires numériques.

La question des avis en ligne, qui constituent une forme de comparaison indirecte entre produits ou services, fait l’objet d’une attention particulière. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a introduit une obligation de loyauté concernant la publication des avis de consommateurs, obligation précisée par le décret du 23 avril 2017.

Ces dispositions imposent aux plateformes de vérifier que les auteurs des avis ont effectivement eu une expérience de consommation et d’indiquer si les avis ont fait l’objet d’une modération. Elles visent à garantir l’objectivité et la fiabilité de cette forme particulière de comparaison entre produits ou services.

Les perspectives d’une régulation internationale

La dimension mondiale de l’internet et des plateformes numériques appelle une réflexion sur les perspectives d’une régulation internationale de la publicité comparative. L’OCDE a formulé des recommandations sur la protection des consommateurs dans le commerce électronique qui abordent indirectement la question des pratiques comparatives.

L’Organisation Mondiale du Commerce pourrait constituer un forum approprié pour l’élaboration de principes communs concernant la loyauté des pratiques publicitaires transfrontalières, y compris les publicités comparatives. Une telle harmonisation contribuerait à réduire les obstacles au commerce international tout en garantissant un niveau élevé de protection des consommateurs.

Dans l’attente d’une régulation véritablement mondiale, des initiatives régionales comme le RGPD européen démontrent la possibilité d’exercer une influence normative au-delà des frontières géographiques traditionnelles. Le modèle européen de régulation de la publicité comparative pourrait ainsi inspirer d’autres systèmes juridiques face aux défis communs posés par la numérisation de l’économie.

L’harmonisation des pratiques dans l’espace numérique apparaît ainsi comme un processus complexe et multidimensionnel, associant convergence des cadres juridiques nationaux, développement de l’autorégulation professionnelle, adaptation aux spécificités des nouveaux intermédiaires numériques et recherche de principes communs à l’échelle internationale. Ce processus reflète la nécessité de préserver les équilibres fondamentaux entre liberté d’entreprendre, protection des concurrents et information loyale des consommateurs dans un environnement économique et technologique en constante mutation.